Alice au pays des merveilles, III: John Tenniel et les autres / Tenniel y los otros
John Tenniel et les autres (dessinateurs).
À travers les différentes versions illustrées d’Alice on voit passer les modes, de l’Art nouveau au réalisme publicitaire américain, et une myriade d’illustrateurs et illustratrices s’emploie à assagir, voir à rendre niais l’univers subversif du livre. On le scinde en deux : au texte le jeu et le nonsense, aux images la douceur et la gentillesse. De manière générale (et les éditeurs y sont sûrement pour quelque chose), on a l’impression qu’ils s’emploient constamment à réduire l’imaginaire d’Alice au pays des merveilles aux standards du livre « jeunesse » : le lapin blanc se fait de plus en plus mignon, la Duchesse moins repoussante, le Jabberwock subit l’influence Disney ou disparaît des illustrations… Rares sont les artistes qui vont puiser dans le texte originel une inspiration nouvelle ; rares ceux qui, 150 ans plus tard, osent sortir du cadre posé par Tenniel et Carroll dans la première édition. Ils ne jouent rarement autre chose qu’une variation de ces premières images. À la liberté littéraire de Carroll on n’oppose que des images douces et rassurantes.
L’extraordinaire finesse des aquarelles de l’illustrateur anglais Arthur Rackham (1867-1939), par exemple, n’efface cependant pas totalement la sensation de se trouver dans un Pays des merveilles bien terne et mélancolique, comme figé dans une sorte d'ennui automnal so british. Son Alice est plus élancée et gracieuse que celle de Tenniel, mais toujours aussi sage.
Le dessinateur anglais Ralph Steadman (né en 1936), au contraire, refuse d’illustrer sagement le texte et revient à la tradition satirique anglaise, glissant peut-être quelque chose des bouleversements des années 1970. Son Pays des merveilles est bien plus acide et chaotique que les précédents. Si le portrait d’Alice était souvent adouci par rapport aux autres personnages, plus grotesques ou effrayants, chez Ralph Steadman le difforme est partout. La jeune Alice semble tout aussi dérangée que les personnages de l’autre côté du miroir. Le mordant du magazine Punch hante de nouveau l’imaginaire d’Alice.








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